Il me semble que c'est le mercredi que ma mére faisait son repassage.
Ca lui prenait toute la journée.
Apparemment les vapeurs humides dégageant une odeur particuliére induisaient une atmosphére de morosité quant aux pensées qui envahissaient son esprit dans le cadre des gestes répétitifs qu'elle exécutait face à la fenétre de la chambre où elle avait placé sa planche. Non moins répétitive dans la période récente était la scéne de ménage qui parfois s'installait de plein pied dés que mon pére avait posé les siens dans son appartement . Comme un trop plein qui se déverse avec la violence de la montée en pression issue du repassage. Les arguments avaient été repassés à satiété, chaque pli semblait plus convaincant que l'autre, et la pile de linge propre se déversait sur mon pére comme si en ouvrant la porte il avait fait tomber l'armoire. En changeant de chemise tous les jours mon pére activait le foyer dont il redoutait les retours de flamme, lesquels s'enflaient de nouveaux pretextes et suspicions puisque la tendance se développait forcément en retour au foyer de + en + tardifs et pas seulement le mercredi.
C'est en début aout 1964 que ma mére décida qu'elle allait quitter définitivement sa planche à repasser pour un assemblage de planches qui se rangent habituellementr au cimetiére le + proche.
Sans doute que tentatives de dialogues et monologues trop bien repassés étaient-ils devenus vains. Il était en tout cas trop tard pour en parler avec elle et ce constat était bien dérangeant, laissait bien des regrets pas forcément justifiés, mais légitimes et en tout cas bien incapables de combler le trou de l'abscence.
Anonyma insuportable des relations familiales.
Pendant très longtemps il conserva le reflexe de ne pas repasser ses affaires. Il défendait volontiers une ésthétique du froissé contre celle du repassé , de méme qu'il s'insurge contre une société qui vante le dry des petites serviettes hygiénniqes collées au fond du slip , et prone quant à lui le wet comme attitude fondamentale puisqu'aussi bien il faut savoir se mouiller semble-t-il.
Il reste mal à l'aise lorsqu'une compagne repasse ses propres affaires avec une dextérité incontestable , sans pourtant qu'il puisse y trouver une vertue majeur, gratitude et inquiétide se mellent.
Il s'arrange tout au moins pour ne pas changer de chemise chaque jour et se fait engueuler parcequ'il devient trop difficile de rattraper cols et poignets ayant été portés trop longtemps. Elle s'en apercevait forcément au repassage .
Il réste un adepte de l'esthétique du froissé, de l'acte de manipuler , froisser un linge, en particulier féminin.
Il aime le pouvoir qu'à le linge froissé de mettre en scéne la nudité dans la suggestion de ses replis .
© Didier BAY