Didier B A Y par Didier B A Y (50'27) couleurs

Bonjour. Il est important de dire que mon monde de l'imaginaire vient des textes lus. Une lecture tous azimuts dés mon enfance puisque mon père recevait en service de presse aussi bien de la littérature enfantine, adolescente ou adulte et en particulier des traductions d'auteurs étrangers en grande partie américains. Au passage quelques 600 westerns lus en américain lors de mon adolescence, avec d'autres classiques en format de poche pou l'armée américaine qui occupait alors pacifiquement la France. Cet imaginaire de l'écriture était complété par l'écoute des maitres du mystére sur France Inter le soir, dont les évocations acoustiques m'emprisonnaient de terreur dans la solitude du lit d'une chambrette au bout d'un couloir qui pouvait alors aussi bien etre le bout du monde. Coté scolaire tout le théatre des classiques Garnier y passa pendant mes heures de permanence , alors que la majorité de mes collatéraux en profitaient pour s'échanger des Berurier et San Antonio dont la facilité de lecture me laissait insatisfait.
Parallélement à cette empreinte textuelle devait se juxtaposer les exactions de l'apprentissage de l'écriture, du rédactionnel, de la pensée conformément appliquée au programme du futur bachelier que je ne fus jamais. Implicitement le monde de l'écriture m'était refusé puisqu'il fallait bien constater que la majorité des domaines d'expression où il s'exercait  n'avaient que très peu ou pas du tout d'attrait pour moi dans cette scolarisation, parking de la morosité.
 
En 1962 mon entourage décida de m'orienter vers un monde qui n'avait guére jusqu'ici accroché mon attention que par le biais d'anatomies féminines aussi dévétues que possible, le monde de l'image. Le nu était alors clandestin dans la puritaine vie courante des français.
Mon entrée dans un atelier préparatoire aux concours des écoles d'Art me permis de découvrir simultanément ma totale nullité pour le dessin, qui se révélait à sa façon aussi codifié et structuré que l'écriture, mais qui devait très rapidement accrocher mon interet et me faire connaitre mes premiers succés dans ce monde périscolaire qui tourne autour du concept d''Art et repose sur la formation d'un monde conceptuel se développant par l'accuité du regard relié par la maitrise de la main ..préte à dévaller, parcourir des km ds pages blanches d'une aventure en cours d'avénement . Une nouvelle écriture dont l'alphabet se construit au jour le jour.
 
En 1963 mon entrée à l'école des Arts-Déco (ENSAD) à Paris aurait du faire de moi, selon l'intitulé du diplôme, un décorateur spécialisé en arts-graphiques, on dirait aujourd'hui, en communication visuelle . Je ne fut en fait qu'un éléve honnéte dans son cycle d'études, car par ailleurs attiré et pratiquant un support que l'école ignorait et méme condamnait alors : la photographie . J'eu donc la grande liberté de m'y auto-éduquer sans avoir à subir un quelconque modèle d'enseignement. Une exploration libre, au grés des quétes et intuitions
 
En 1967 je sortais donc des Arts-déco avec une sensibilité accrue pour l'architecture, mais aucun véritable désir de m'engager dans une quelconque voie pour lesquelles on avait prétendu me former. Continuant de bricoler avec mon appareil photographique il devait s'avérer que j'avais sans doute une attitude de ce qu'on ne pouvait guére qualifier autrement que d'attitude artistique, presque a contrario, par défaut.
 
En 1969 confonté au probléme d'utilisation du résultat d'un hobby qui se développait depuis l'age de 13 ans, la fotografie , je constituait alors quelques cahiers où j'ordonnais quelques fotos avec des rudiments de légendes. Ca avait le style d'un album de famille , mais c'était l'approche d'une quéte de soi à travers des traces du monde exterieur . Tout restait à découvrir, a réinterpreter.
 
En 1973 pour ma 1ere expo j'utilisait des albums plastic noirs et organisait + consciemment et des séries de fotografies et les textes que j'y adjoignais et qui me paraissaient impératifs essentiels. C'était la série MON QUARTIER vu de ma fenétre.
De la méme maniére que la fotografie anecdotic avait perdu pour moi tout attrait, remplaçée par la série, l'autonomie de l'image était définitivement refusée avec cet accompagnement d'un texte qui, trés vite, tout de suite, s'éloignait de la légende pour devenir l'expression d'un autre aspect des choses que celui proposé par l'image. Une image collatérale faisant appel à un autre imaginaire, celui proposé par les mots. Ce retour du texte lu qui imposait donc l'usage de l'écriture. Ainsi la pratique de l'image induisait la prise de parole, le tapuscrit. Dés lors ces 2 versions du cliché culturel se cotoyaient avec de + en + d'attrait pour moi. Un plaisir croissant à y piéger et découvrir mon imaginaire sous différentes formes. Il devint tout de suite évident que ce jeu n'avait rien d'innocent, que ces explorations médiatics méttaient à jour des zones d'ombre de ma personnalité, me révélaient à moi-méme, conduit par des pulsions inconscientes m'autorisant implicitement à sortir du carcan de mon culturel ordinaire. Le lent processus de déstructuration qui avait été mis en place par ma scolarité, était en train d'étre freiné, puis inversé en un processus de construction/création. En fait récréation de moi-méme.
Il s'agissait donc d'une véritable cassure dans le linéaire d'un conditionnement culturel dont nous sommes tous imprégnés, esclaves. Je sortais, laborieusement du pilotage automatique qui me condamnait à rester au sol, pour enfin tenter quelques cabrioles aériennes, prudentes ou intrépides. J'étais enfin prêt à casser du bois, à faire voler en éclats les icones du prêt à porter, du prêt à regarder, du prédigéré.
Je n'ai cessé en fait de constater que + de 50M de Français semblent accepter que leur propre langue leur soit rendue impraticable pour etre réservée à quelques pseudo-lettrés qui s'en disputent officiellement la forme, le style et les déclinaisons. Depuis la fin des années 80, rituellement, chaque année, la France fait sa rentrée scolaire , une dictée nationale parrainée par Bernard Pivot et les personnalités du monde du spectacle et de la politique, ce pléonasme. On comprend très bien de quoi est faite l'exception culturelle tant clamée. + de 50M de frustrés attendent l'avénement rédempteur d'un supréme instituteur à parole d'évangile qui saura les convaincre d'autant + bruyamment de leur médiocrité congénitale à la langue méme, telle qu'elle est cultivée. Voir les efforts récents d'un ministre de la culture sénil cherchant à imposer de nouvelles contraintes, donc de nouvelles censures. Syndrome on ne peut plus explicite du culte du sacrifice ancré en tout français normalement cultivé. Morbidité endémic inséminée par langue. Constat évidemment terrible qui vous place dans la dissidence la plus absolue car le schéma colporté par la langue parasite tous les systémes qui y sont adjacents, mœurs, comportements, idéologies. Il n'y a ni complicité ni complaisance possible. Rupture. Isolement. Solitude. C'est très exactement ce que craignent par-dessus tout les mandarins d'une telle culture. Marginalité légendaire de l'artiste, doublée de ses errances dans le no man's land entre le lisible et le visible, l'illisible et l'indicible. C'est dire la précarité et l'éventuel sentiment de solitude.
 
Depuis 1964 je ne peux plus dire à ma mère que la solitude ça n'existe pas, puisqu'elle s'est suicidée. Exposant à sa maniére ce que serait une solitude, au point de souhaiter disparaitre. S'éliminer, tout simplement. Si on peut dire. En fait préoccupée par son égo, elle ne pouvait pas savoir que cet acte radical allait sans doute etre l'acte pédagogic le + important à mon égard. On peut imaginer différentes conséquences psychologics, et troubles de l'àme face au suicide de la mére. La leçon essentielle que j'en retenait et qui ne césse de se manifester épisodiquement comme un prurit récurant, c'est qu'il y a eu tromperie. On m'a trompé. Je me suis trompé. Ma mére n'était pas seulement ce que tout semblait concourir à désigner comme ma mére, elle était aussi, et en définitif par-dessus tout : un individu.
J'ai du mal à imaginer que ma mére avait des raisons de se suicider. Par contre j'ai été obligé de constater que l'individu inconnu qui se cachait dérriére l'étiquette du role de mére, avait des raisons définitives et radicales de se suicider. D'où la tromperie des apparences qui ne signifient en rien la réalité. D'où ce prurit récurent qui se manifeste à travers un regard + que questionneur, dubitatif, on ne m'y reprendrait plus.
 
L'autre Aspect de ce suicide, décidemment très pédagogic, c'est d'avoir en méme temps constaté à quel point j'étais aliéné à ce monde des apparences, ces roles de mére et fils. Ce suicide était une renaissance pour moi, ayant une force symbolic d'autant + importante qu'elle se passait à un stade de ma vie très différent de celui du nourrisson qui subit la rupture chirurgicale du cordon ombilical. C'était une renaissance.
Le vaisseau spacial principal se sabordait pour laisser le rejeton se réapproprier son orbite en s'inventant d'autres points de repéres, spacieux.
 
J'avais donc 20 ans.
Consciente évidemment de ceux qu'elle laissait dérriére elle, ma mère laissait un mot prétextant d'une longue maladie, comme un prétexte d'aller faire une course urgente pour ne jamais plus réapparaitre.
En l'occurrence je me serais comme identifié …./….
 
..../…. © Didier BAY